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Les Contemplations

Dans Les contemplations, Hugo expose sa vie sous la forme d'une autobiographie versifiée. A cela, Pierre Laforge propose une vision romanesque de l'œuvre, en partant sur le principe d'un personnage inventé. Je chercherai à savoir si ce personnage est véritablement fictif, et si le recueil tient plus du roman ou de la poésie.

 

Dans sa préface, Hugo place le recueil comme un texte universel « Ce livre contient[...] autant l'individualité du lecteur que celle de l'auteur » Il annonce clairement que le livre ne parle pas seulement de lui, mais de tous. C'est une indication sur le caractère fictif des « mémoires de son âme ». Lorsqu'il parle du deuil, il parle de celui connu par tous, et non le sien en particulier. Il conçoit sa vie comme absolue et universelle : « ma vie est la votre, votre vie est la mienne ».

Au delà de la vision de l'auteur, écrire sur soi, c'est poser un personnage fictif. En effet, on ne peut pas se décrire de façon exhaustive : on oublie certains détails, d'autres sont passés sous silence, ou s'inventent... De plus, l'auteur se doit d'être intéressant, pour ne pas ennuyer son lecteur. Au final, on obtient une image subjective, propre aux affects méta-psychologiques de l'auteur. On perçois non pas qui est l'auteur, mais ce qu'il voudrait, ou se croit être. Il créer un double sublimé forcement fictif.

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Pourtant, après lecture du recueil, on peut s'apercevoir que les faits racontés sont proches de la réalité. Sa fille est véritablement morte, il a bel et bien vécu un exil, et sa mère est décédée, alors qu'il était encore jeune... Il s'agit en quelque sorte d'un pacte : quiconque écrivant sur soi n'a pas le droit de mentir. Toute la difficulté de l'exercice réside à ne pas écrire sur soi pour écrire sur soi et de ne pas se laisser emporter par les mots. Hugo, en choisissant d'écrire sous forme poétique, plante un personnage cohérent et introverti. 

Si nous considérons les livres comme des chapitres, les poèmes se révéleraient être des idées principales, et certains poèmes, subdivisés en morceaux seraient comme autant de paragraphes.

Le recueil est composé de six livres. Chacun d'eux est une partie de la vie de Hugo. Le premier correspond à sa jeunesse et sa formation littéraire, le second à son apprentissage amoureux, le troisième à ses combats politiques et sa prise de conscience sociale, le quatrième (qui occupe la place centrale du livre) aborde la mort de sa fille, le cinquième est son exil et les doutes sur sa façon de vivre, enfin, le dernier aborde la métaphysique. On peut contester par avance la chronologie avancée, puisque certaines dates sont faussées. Petit mensonge établit pour mieux coller à une chronologie psychologique. On peut sentir au fil du ''récit'' que le personnage s'étoffe, devient plus mûr et gagne en profondeur. Dans le livre I, le poème 11 sur Lise conte un jeune garçon amoureux et frivole. « Puis, j'étalais mon savoir enfantin, Mes jeux, la balle et la toupie agile ; J'étais tout fier d'apprendre le Latin » au contraire, un poème du dernier livre comme Ce que dit la bouche d'ombre (26) possède une puissance beaucoup plus réfléchie. « Donc Dieu fit l'univers, l'univers fit le mal » Le personnage évolue de l'innocence à la connaissance en passant par des passages douloureux de la vie.

Pauca Meae y est le centre du recueil. Si nous reconsidérons la susdite proposition selon laquelle le livre serait un chapitre, nous noterons les indices prouvant que l'entité propre qui forme les poèmes, détient une cohérence indiscutable. Le premier poème est un portrait idéalisé de la fille de Victor Hugo, le second celui de son mariage, le troisième celui de sa mort, les trois suivants forment des souvenirs et de doutes, les dix d'après cherchent l'oublie et le dernier remercie le suicide du maris de la fille. Il apparaît clairement que l'ordre des poèmes est rigoureusement réfléchi. Il relate rapidement la vie de sa fille et le goût ineffable qu'il lui porte. On n'aurait pas pu mettre le second poème à la place du quatrième ; La fille paraîtrait morte pour ressusciter dans un mariage. De plus, la clef de certains poèmes se trouve dans ceux qui précédent. Le VIIIè ne peut être compris que si l'on a l'explication de : « Heureux, ceux qui tout à coup s'éveillent et meurent en sursaut ! » Le poème précédant indique que c'est un éveil de l'esprit. Les ''chapitres'' forment des structures indissociables et non malléables, sous peine d'en détruire la compréhension.

 

Maintenant que la cohérence des chapitres et des idées est établie, il nous faut vérifier si-il existe un lien entre ''paragraphes''. Prenons Saturne (livre III, poème 3) Hugo nous expose une vision de la vie après la mort. La première partie aborde le doute, le second la mort, le troisième Saturne, la quatrième le désir de savoir et la cinquième, critique l'étouffement des vérités. Le tout peut sembler chaotique, mais sont reliés par des liens logiques. « Donc, puisque j'ai parlé de ces heures de doutes. » paragraphe 2 : Hugo résume son premier propos. « Saturne, sphère énorme ! [...] » paragraphe 3 : Il fait une répétition du mot Saturne pour préciser la nature de son nouveau discours. « Oh ! Ce serait vraiment un mystère sublime » paragraphe 4 : L'interjection renvoie à la précédente ligne. « Il est certain aussi que[...]» paragraphe 5 : L'expression est répétée pour supprimer la rupture.

Tous ces détails offrent une structure propre au roman, tant sur le fond que sur la forme. Un recueil de poésie à proprement parler n'est pas aussi précis dans sa réflexion constructive. Toutefois, le détail qui semble vérifier l'hypothèse d'une véritable homogénéité, est l'emploi perpétuel de la première personne du singulier. Il n'y a pas de poème sans l'utilisation du 'je'. Cela équivaut à une prise de parole continue, proche d'un soliloque.

 

Il y a cependant quelques bémols dans cette réussite littéraire : les différences, même si elles ne se jouent pas sur les liens logiques, se produisent sur des détails. A titre de comparaison, l'autobiographie de Jules Vallès (L'enfant) expose des noms, des lieux, des événements précis, ou encore des détails. Hugo, à cause de la forme poétique de l'œuvre, penchera sur ses idées et ses ressentis. La coccinelle, dans le livre 1 est un exemple clair : il pose une situation explicite, et relate un baiser raté. Il ne cherchera ni à donner un nom à la fille, ni à situer le lieu. En outre, il conclut par une petite morale à l'attention du lecteur. Pour d'autres poèmes moins accessibles, la situation ou les personnages ne sont pas présentés. Le poème 3 du livre V est composé d'un unique vers. « Car le roi masque Dieu même dans son église, l'azur. » Il s'agit pour le lecteur d'avoir sa propre interprétation du texte. L'azur peut être rattaché à la signification du blason du roi: la grandeur spirituelle. En tenant compte qu' Hugo considère le poète comme guide du peuple, la phrase dirait : Le dirigeant censure le poète, même dans son livre. En considèrent le mot azur comme le ciel, cela signifierait que le roi se croit tellement grand qu'il à le pouvoir absolu. Ce qui, dans une approche contextuelle serait compréhensible avec la prise de pouvoir de Louis-Philippe.

Une autobiographie n'emploie généralement pas un style ampoulé. Tout au cours du texte, Victor Hugo accumule paraboles, métaphores, comparaisons, etc... L'auteur utilise un discours emphatique, et n'hésite même pas à maudire Dieu de sa propre condition. Ces raisons tendent à distinguer le roman autobiographique du versifié. L'argument ultime, c'est qu'il n'y a pas de vers dans un roman.

Le texte, par sa structure, appartient irrévocablement au roman à cause de la continuité logique entre chaque poèmes. Mais, par son style, et sa façon de raconter, le recueil est plus proche de la poésie. Au final, Victor Hugo cache son âme derrière un apparat de vers, même si ce n'est qu'une vision fictive, un souvenir choisi de sa personne.

Dorian Clair | 2014

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